top of page
Image de Sander Weeteling

Prologue

22 janvier 2008

 

Aniort,

Petit village en France 

           

Il était 21 heures quand elle arriva devant le grand portail de la résidence de son oncle. Elle se mit à frapper comme une forcenée. De grosses larmes chaudes ruisselaient le long de ses joues, et son cœur cognait à vive allure dans sa poitrine.

Au bout de quelques secondes, le portail s’ouvrit lentement sur un gardien, affichant une mine contrariée.

           

― Qu’est-ce que c’est, hein ? aboya-t-il.           

― Je viens voir oncle Semba, c’est une urgence ! implora-t-elle en se faufilant à l’intérieur sans y être invitée.           

― Hé !

Le gardien la retint promptement par le bras avant qu’elle n’ait eu le temps de s’aventurer dans la cour.

           

― Pardon, je dois voir mon oncle, il m’attend, supplia-t-elle.           

― Et je peux savoir qui tu es ?           

― Rayba El…           

― C’est bon, Antoine, relâche-la, c’est ma nièce, intervint un homme de haute stature, dont le visage pâle était visible dans la semi-obscurité de la nuit.

           

Semba El Meidah les observait calmement devant la porte de sa maison. Le gardien n’insista pas et libéra Rayba, qui se précipita vers son oncle, le cœur soudain rempli d’espoir. 

           

― Bonsoir, mon oncle, je suis désolée de te déranger à cette heure de la nuit, mais c’est Ryad, il n’a plus de médicaments, et je n’ai…

           

La jeune fille réprima le sanglot qui lui montait aux lèvres.

           

― Ne t’inquiète pas, la rassura son oncle en la prenant dans ses bras d’un geste paternel. Tu as bien fait de venir. Viens, je vais te donner ce dont tu as besoin.

           

Il la fit doucement entrer et referma la porte derrière lui. Il avait immédiatement reconnu la voix de l’aînée de son défunt grand frère.

Rassurée et confiante, Rayba s’en remit entièrement à lui. Elle sentit comme si un poids s’était ôté de ses épaules. Son frère ne mourrait pas cette nuit. Trente minutes plus tard, elle quittait la résidence de son oncle, un sac de médicaments dans la main et une grande enveloppe pleine de billets.

 

Le chauffeur personnel de son oncle la raccompagna en toute hâte à la maison. Une fois dans le couloir, elle entendit des sanglots provenant du salon. Marthe, la femme de ménage, pleurait. La jeune fille ne prit pas la peine de la rejoindre, connaissant déjà la raison de ses pleurs.

 

Elle se rendit directement dans la chambre de son frère et s’y enferma. Là, dans la lueur douceâtre de la bougie, Rayba l’aperçut allongé sur le lit et profondément endormi. L’espace d’un instant, elle l’imagina en train d’ouvrir les paupières et l’accueillir de ce sourire éblouissant et chaleureux, qui réussissait toujours à lui redonner un peu d’espoir quant à leur avenir à tous les deux. Mais au lieu de cela, Rayba fut submergée par l’odeur de mort.

Sa mort.

           

Pétrifiée d’horreur, son esprit peina à accepter ce que lui montraient ses yeux, et son cœur se figea par l’inconcevable. Les larmes affluèrent à ses paupières et se déversèrent sur son visage. Elle s’écroula alors au sol, en pleurs, terrassée par le désespoir. Lorsqu’elle n’eut plus assez de souffle pour pleurer, la jeune fille se ressaisit et se releva, puis lentement, se dirigea vers le bureau de son frère et entreprit de fouiller dans l’un des tiroirs pour en ressortir une petite fiole d’une couleur rose. Et sans aucune hésitation, elle l’ouvrit et en but le contenu.

Reposant ensuite le flacon vide sur la table, Rayba s’approcha du lit et se plaça à côté de son frère, lui prenant doucement la main pour l’observer longuement : son petit corps frêle, dont on devinait difficilement ses onze années d’existence ; son visage blafard et amaigri, et ses cheveux bouclés d’un noir de jais.

Elle fut tentée de soulever ses paupières pour admirer une dernière fois ses yeux gris argenté, tandis que les siens étaient aussi sombres que l’était sa peau. La couleur du café, comme celle de sa défunte mère dont elle était le portrait craché. Contrairement à son frère qui était aussi blanc que leur défunt père. En dehors de ses yeux gris, aussi lumineux que ceux de…

           

Tous les souvenirs de ces derniers événements remontèrent avec puissance en elle, provoquant une flambée de honte et de révolte. Mais à ce moment-là, la potion qu’elle avait avalée quelques minutes plus tôt se mit à agir puis une étrange sensation d’engourdissement se répandit à travers tout son corps.

           

Celui-ci lui parut invraisemblablement léger, comme flottant sur un nuage, l’obligeant à poser sa tête sur le torse de Ryad. La dernière chose qu’elle imagina fut la main frêle de ce dernier sur sa tête, lui caressant doucement les cheveux, comme pour l’apaiser et l’inviter à le rejoindre.

           

Incapable du moindre mouvement et à peine consciente, Rayba ferma les yeux et ressentit une intense plénitude. Puis très vite, elle bascula dans le néant, persuadée qu’elle allait effectivement rejoindre son frère.

 

Mais la réalité fut encore plus cruelle.

bottom of page