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Le réveil du monstre

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Samedi 11 juillet, 1 h 20

 

C’était la neuvième nuit de ses cinq ans. Le vent hurlait et la tempête faisait rage, empêchant Tah’ryll de dormir. Il se tourna et se retourna dans son lit, incapable de se débarrasser de ce cauchemar qu’il faisait depuis son anniversaire, dans lequel un monstre, possédant un corps d’homme et une tête de taureau, le pourchassait dans toutes les pièces du château.

Impossible de lui échapper. Et personne ne pouvait le sauver.

Tah’ryll se réveilla en hurlant. Son père se précipita à son chevet, le prit entre ses bras et le berça, tentant de le consoler.

— Tu te sens mieux ? demanda-t-il au petit garçon après l’avoir apaisé.

— Oui, Père, répondit ce dernier, une fois expulsée la terreur qui le hantait.

— Encore ce cauchemar ?

— Le même, mais cette fois, je me fais dévorer par le monstre.

— Tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?

— Que la prochaine fois, il viendra me prendre pour de vrai.

— Et que dois-tu faire pour l’en empêcher ?

— L’enfermer dans mon placard.

— Maintenant que tu as cinq ans, il va falloir que tu fasses comprendre à ce monstre qui est le maître. Te sens-tu prêt à l’affronter, Tah’ryll ?

Le petit garçon réfléchit un moment avant de répondre d’un air déterminé. Depuis qu’il avait trois ans, son père n’avait cessé de lui répéter qu’il était Prince et qu’a son cinquième anniversaire, il devrait le prouver à tous.

— Je suis prêt, Père.

Le roi sourit d’un air fier.

— En effet, Fils, et je suis fier de toi. Maintenant, va montrer à ce monstre que c’est toi, Tah’ryll de Lorsley, le seul et unique Prince de ce royaume !

Le roi se leva et tendit la main à son fils pour l’aider à descendre du lit. Et tous deux montèrent l’escalier pour atteindre le deuxième étage. Ils longèrent ensuite le couloir jusqu’à une petite porte verrouillée, que le roi ouvrit à l’aide de son trousseau de clés.

Il alluma l’interrupteur qui éclaira les marches étroites qui les conduisirent dans un immense grenier où s’entassaient pêle-mêle de vieux meubles et des cartons, et tout au fond de la salle, une porte close les attendait. Le roi s’accroupit à la hauteur du prince et lui prodigua ses derniers conseils.

— Surtout, ne lui montre pas que tu as peur et regarde-le droit dans les yeux, d’accord ?

— Oui, Père !

— Très bien. À toi de jouer, maintenant. Je t’attends devant la porte.  

Tah’ryll avança avec mille précautions, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine et les yeux fixés sur la porte qui semblait l’appeler. Il était terrifié, mais il s’efforça de bannir sa peur. Il avançait, malgré les tremblements de ses jambes, n’osant pas se retourner et croiser le regard de son père, car cela signifierait la défaite.

Sa défaite.

Alors, il continua d’avancer, lentement, en espérant retarder le moment fatidique. Mais malgré cela, la distance se réduisait tout de même rapidement, et lorsqu’il approcha enfin de la porte, il inspira profondément et posa la main sur la poignée pour l’ouvrir. Et sans plus attendre, il se glissa dans les ténèbres et referma la porte derrière lui.

Tah’ryll se réveilla d’un seul coup et alluma sa lampe de chevet. Il était dans sa chambre et il faisait une chaleur étouffante. Repoussant le drap, il se leva et se dirigea pesamment vers la fenêtre, ouvrit la porte vitrée et fut accueilli par la fraîcheur de la nuit.

Le jeune homme respira de profondes bouffées d’air et s’avança sur le balcon pour observer le paysage nocturne. C’était la pleine lune et le ciel piqueté d’étoiles semblait se faire complice d’une atmosphère soudain chargée de mystère.

Cette nuit, le prince avait préféré dormir dans son hôtel plutôt qu’au château. Après le rendez-vous avorté avec Hei’ressmée, la veille au soir, elle avait promis le revoir le lendemain matin. Et rester à l’hôtel était la meilleure solution pour la rencontrer sans attirer les regards du personnel et les soupçons de son père.

L’idée de la revoir l’apaisa et lui remonta le moral. Il avait des questions qui exigeaient des réponses, et pour une raison qu’il ne comprenait pas encore, il était persuadé que l’adolescente détenait la clé de sa liberté.

Tah'ryll ne comptait pas héberger sa bête éternellement, et il ne voulait plus être sa victime. Il voulait briser la chaine qui liait sa famille à ce rituel démoniaque. Et, il en avait une conscience aiguë, Hei’ressmée pourrait le débarrasser définitivement de son démon.

Fort de cette conviction, il s’emplit une dernière fois les poumons d’air pur et rentra à l’intérieur. Il allait essayer de se rendormir et tâcher de récupérer pour être en forme dans la matinée.  

À son retour dans sa chambre, il fut soudainement envahi par une chaleur suffocante qui s’insinua en lui et lui coupa le souffle. Il sentit son corps et ses cheveux s’embraser, accélérant son rythme cardiaque.

Tah’ryll serra les dents et aussi vite que ses jambes le lui accordaient, il traversa la pièce et s’accroupit de tout son poids devant la table de chevet. Il devait se procurer la pierre d’obsidienne, celle que Parsy lui avait remise. C’était la seule chose qui pouvait calmer son monstre qui s’agitait en lui comme une tornade.

En effet, depuis quelques jours, celui-ci ne supportait plus d’être en cage et cherchait à prendre le contrôle de l’esprit de son hôte. Or Tah’ryll ne pouvait pas le laisser faire. Autrement, ce dernier utiliserait son corps pour faire un carnage : toutes les personnes qui auraient le malheur de croiser son chemin finiraient en lambeaux.

Le prince tendit une main tremblante vers le tiroir pour l’ouvrir mais il ne put l’atteindre. Son démon l’en empêcha en le projetant brutalement en arrière contre le mur. Une douleur fulgurante le transperça, et un grognement guttural sortit de ses entrailles : c’était le cri de guerre de sa bête, qui lui faisait savoir que cette nuit, il n’avait pas l’intention de se laisser dominer.

 

Il obtiendrait gain de cause, fût-il obligé de lui briser les os. C’était un démon, après tout, et il pouvait guérir de n’importe quelle blessure. Alors, il ne se retiendrait pas. Tout dépendrait de la résistance de son hôte. Pour sa part, il n’aurait aucune pitié.

Tah’ryll resta figé sur le sol, incapable de bouger. Sa respiration était haletante ; des sueurs froides irritèrent son échine et inondèrent son visage. Il tenta de réfléchir à une autre alternative. S’il ne pouvait s’emparer de la pierre d’obsidienne, il devait tenter d’appeler James, son majordome.

Celui-ci saurait maîtriser sa bête. Au service de la famille royale depuis le cinquième anniversaire du prince, James en connaissait les secrets et avait été formé pour ce genre de situation.  

Tah’ryll essaya d’ouvrir la bouche mais soudain de violentes convulsions le secouèrent et l’obligèrent à s’allonger sur le sol en se tortillant de douleur.

Son démon était tenace, mais Tah’ryll refusait de céder, il ne voulait pas se plier à sa volonté. Alors, il fit abstraction du mal qui le rongeait de l’intérieur, s’efforçant de maintenir cette chose à sa place. « Il va falloir que tu fasses comprendre à ce monstre qui est le maître. » lui rappela son père. Mais malgré sa pugnacité, Tah’ryll sentit son esprit capituler.

Le monstre était manifestement plus fort que lui. Du moins, cette nuit.

L’épuisement le submergea, et le jeune homme sombra dans l’inconscience. À partir de là, son démon prit la relève. Et maintenant qu’il était enfin seul maître à bord, il n’allait rien se priver !

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