
La vie cachée d'une sibylle
2.
Samedi 11 juillet, 1 h 45
La nuit avait recouvert la forêt de son manteau d’ébène, et un silence oppressant y régnait. La lune jetait de faibles rayons de lumière blafarde entre les arbres noueux qui s’alignaient autour de la bête et éclairait sobrement le petit sentier qui conduisait vers un terrain de camping.
Tapi derrière un buisson au feuillage dense, il observait la caravane qui se trouvait dans un coin isolé, loin des autres alignées à l’opposé de l’endroit où il se cachait. À l’intérieur, il y avait du remous, il pouvait l’entendre avec son ouïe particulièrement aiguisée. Il y avait plusieurs personnes dans le véhicule, en pleine discussion.
L’une d’elles, une jeune femme, sortit brusquement et claqua la porte derrière elle, enragée. Puis laissant échapper un soupir exaspéré, elle s’avança vers lui, sans méfiance, offerte. C’était le signal que le monstre attendait. Il bondit subitement sur sa proie et lui brisa le cou, sans lui laisser le temps de crier.
La jeune inconnue, qui ne l’avait pas vu venir, mourut sur le coup. La bête traîna le corps sans vie dans sa cachette et se mit à dévorer la chair encore palpitante, en poussant des grognements de plaisir.
Un cri horrifié sortit de ses entrailles, faisant voler les vitres de la fenêtre en éclats. Saphira émergea en suffocant de la vision cauchemardesque dans laquelle elle avait sombré. Elle était en sueur et son corps en feu. Il faisait une chaleur écrasante, et elle voyait rouge. Du sang, partout dans sa chambre.
Son père, inquiet, pénétra en trombe dans la pièce, réveillé par ce cri terrifié qui ressemblait à celui d’un animal pris dans un piège mortel. Allumant la lampe, il remarqua le chaos autour de lui : la fenêtre avait explosé, et des bris de verre étaient éparpillés sur le sol.
Il s’approcha du lit et découvrit sa fille, assise en silence, le corps tendu comme un arc, le regard vide et l’effroi encore sculpté sur son visage livide. Elle avait l’air d’une créature qui venait tout juste de voir son âme déserter son corps. Le roi s’installa à son chevet et lui prit la main délicatement, ne voulant pas la brusquer.
Ce n’était pas la première fois que sa fille le réveillait au milieu de la nuit. Depuis toute petite, celle-ci était sujette aux cauchemars, et la seule présence du roi suffisait à la tranquilliser et à la faire revenir à lui.
Mais pas cette fois. Cette nuit, c’était différent. Et tout l’indiquait : dans son regard fixe, l’expression terrifiée de son visage et sa respiration à peine perceptible. Cette fois, son cauchemar semblait l’avoir enveloppée de son linceul macabre. Et si le roi ne réussissait pas à la ramener dans la réalité du château, il risquait de la perdre pour de bon.
Cette pensée le terrifia.
— Saphira ? fit-il de sa voix la plus douce, se forçant à ravaler sa peur.
Elle ne répondit pas, et resta muette et immobile comme une statue. Accablé, le roi lui caressa doucement la joue pour tenter de la faire réagir. Mais celle-ci n’émit aucun mouvement, pas même un battement de cils. Résigné, son père laissa échapper un soupir las.
— Ne t’en fais pas, princesse, je vais te ramener à moi !